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Portraits croisés, la Résidence de l’Europe, 59370

Cette photo date des années 1960… 1966, probablement ! L’immeuble de la Résidence de l’Europe, a été dessiné par Henri Chomette. C’est ce même architecte à qui l’on doit le plan d’urbanisme de la Ville nouvelle de Mons-en-Baroeul. Il voulait en faire le symbole de la modernité triomphante. C’est un monstre de béton d’un demi-kilomètre de long, sur sept étages, surélevés en quatre lieux par de grandes tours de soixante mètres de haut, chacune.

Le photographe s’appelle Gabriel Kerlidou.

C’est un professionnel. Il est le responsable du laboratoire-photo du journal, la Voix du Nord, à Lille. Comme il habite la commune, à une centaine de mètres de ce chantier, il officie souvent, dans le coin. Il opère avec un Rolleiflex. Ce n’est guère courant pour un reporter d’image. Avant-Guerre, Gabriel était le collaborateur d’un photographe lillois très connu. Il travaillait avec un Contax 24X36, un appareil novateur, peu usité, en France avec une optique Zeiss, aussi lumineuse que précise.

Pendant la guerre, Gabriel s’était engagé dans la Résistance. C’était une bonne carte, en 1944, pour pouvoir être engagé par ce journal. Quand il a commencé ses reportages à l’aide de son 24X36, cela a déclenché une cabale virulente de la part de ses collègues. Ils étaient déjà là, en poste pendant l’Occupation… et même avant ! Ils étaient très conservateurs. Pour eux, rien ne valait les chambres de reportage grand format d’avant-Guerre. Ce blanc-bec avec son ridicule petit outil faisait du tort à la corporation.

Ainsi, Gabriel avait-il préféré opérer un repli stratégique vers le labo. Pourquoi est-il passé au Rollei 6X6 ? On ne sait pas ! Peut-être à cause de l’optique Zeiss qui lui rappelait son Contax ? A la fin de sa carrière, les “vieux de la vieille “ avaient tous disparu. Gabriel s’est remis au reportage, avec un Leica, cette fois. Ainsi ce photographe qui avait combattu Hitler et les Nazis, a-t-il fait confiance toute sa vie à du matériel allemand ! 

L’image de Gabriel est d’une simplicité géniale. Il n’était pas gêné pour choisir l’emplacement de la prise de vue. Il s’est posté à un endroit distant, permettant de réduire les déformations des cubes de béton.

Il a composé une enfilade pour concentrer dans son image la succession des tours et des immeubles. Le moment est particulièrement bien choisi, à la fin de la construction de la dernière tour, côté Ouest. Le sommet, en chantier laisse voir la construction modulaire du bâtiment. Au sol, une grue fraîchement déconstruite, attend son départ vers un autre chantier. L’immeuble n’est pas terminé mais les automobiles sont déjà nombreuses sur le parking. On est au temps de la voiture-reine !

Imiter Gabriel, n’est pas donné à tout le monde ! Pas question de se décaler à droite, car les tours sont masquées par les arbres, ni de reculer à cause du nouvel immeuble qui se trouve devant. Il faut se contenter d’un angle bancal qui déforme les perspectives. C’est un peu moche, mais c’est ce qui semble le plus ressemblant !

Un plan incliné, qui sert d’accès au local à poubelles a été ajouté . La Résidence de l’Europe, immeuble ultra-moderne au siècle dernier, était devenu vétuste et hors des normes d’incendie ces derniers temps. L’an dernier, on a terminé les travaux de rénovation d’un chantier de 6,5 millions d’euros. Le bâtiment plus que cinquantenaire a retrouvé une nouvelle jeunesse. Fini les parkings pour les automobiles et bienvenue aux esplanades pour les piétons. La rénovation des quartier (ANRU) est passée par là ! Ça aussi, ça a coûté pas mal de sous, mais c’est beaucoup plus beau ! Les seuls moyens de transport présents sont, à présent, les vélos électriques Uber.

On a changé d’époque ! Le photographe a laissé apparaître un tout petit personnage – ce qui ne se faisait pas du temps de Gabriel –. Il sert d’échelle pour souligner les proportions de ce gigantesque bâtiment. 

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