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Quand la cloche du XVIe siècle de la paroisse Saint-Pierre (59370), disparue depuis 150 ans, réapparaît à l’occasion des fêtes de Pâques
À la période de Pâques, à partir du jeudi Saint, jusqu’au dimanche qui suit, les cloches restent muettes, en respect de Jésus, mort sur la Croix. Mais on raconte aux enfants une toute autre version : les cloches s’envoleraient pour Rome et, revenant de leur pèlerinage, laisseraient tomber des friandises dans les jardins des enfants. Ce qui est certain, c’est que la cloche de l’église Saint-Pierre, dont on avait perdu la trace depuis un siècle et demi est réapparue à l’occasion de la période de Pâques 2021.
L’histoire des cloches du diocèse
renvoie à une période douloureuse, celle de la guerre 1914 – 1918. Ces années-là, Lille et sa banlieue sont occupées par l’armée bavaroise qui tient le front de l’Ouest, face à l’armée franco-britannique. La Guerre, dont on disait des deux côtés qu’elle ne durerait que quelques semaines, s’éternise. Les matières premières utiles à la poursuite du conflit viennent à manquer. Dès 1914, l’armée allemande organise le pillage des ressources en métaux dans les zones occupées. Les matières premières sont confisquées, les machines démontées pour en extraire le métal. En juillet 1916, une ordonnance fixe le cadre de la confiscation pour les entreprises, les collectivités et les particuliers des métaux non-ferreux. Elle institue « la saisie des articles composés de cuivre, nickel, bronze, maillechort… » Tous les objets correspondant à ces critères seront impitoyablement ravis à leur propriétaire. C’est ainsi que vont disparaître les cuves de fermentation des brasseries parmi lesquelles celles de la « Brasserie Coopérative Monsoise ». Mais, pour l’Autorité allemande, cela n’est pas encore suffisant. Dans son arrêté du 8 mars 1917 elle s’attaque aux églises et aux objets de culte en recommandant la confiscation des « statues, cloches de bronze ou tuyaux d’orgue ». Des officiers allemands, appartement à la Kommandantur, répertorient tous les objets de culte concernés par l’arrêté du 8 mars.
À Mons-en-Barœul, les tuyaux d’orgue et les deux cloches de l’église Saint-Pierre sont visés.
Ces dernières ont pour nom, Henriette, pour la plus grosse de huit-cent-neuf kilos, et Pierre, pour la plus petite, de deux-cent-dix-neuf kilos. Le curé de l’époque, l’abbé Salambier, développe toute l’énergie dont il est capable pour tenter de prendre en défaut l’argumentation des officiers allemands. Ses protestations, mémoires et courriers, de même que ceux de l’évêque de Lille, Monseigneur Charost, laissent leurs interlocuteurs germaniques de marbre. Le 22 mars 1917, les Allemands s’emparent des deux cloches de l’église Saint-Pierre. Ils précisent au curé qu’ils les emmènent à la gare Saint-Sauveur, de telle sorte qu’elles puissent être fondues en Allemagne. C’est un pur mensonge !
En réalité les deux cloches de la paroisse Saint-Pierre vont aller rejoindre leurs homologues d’Hellemmes, d’Ascq, de Flers, d’Annappes et de bien d’autres communes du diocèse de Lille aux Ateliers d’Hellemmes. Avant-guerre, ils étaient le centre de fabrication et de maintenance du matériel ferroviaire de la « Compagnie des Chemins de fer du Nord ». La VIe armée bavaroise, qui occupait Lille, entre 1914 et 1918, avait confisqué les lieux pour en faire l’atelier de maintenance de son matériel d’artillerie. Si les paroissiens de l’agglomération lilloise avaient eu l’information, beaucoup d’entre eux, ulcérés de ce qu’on les avait privés de leurs cloches, seraient sans doute venus protester devant les Ateliers. Les cloches du diocèse ont ainsi fini silencieusement leur vie à Hellemmes, transformées en matériel de guerre. Pendant plus de quatre ans, Le clocher de l’église Saint-Pierre est resté muet, jusqu’à l’installation, en 1921, de ses nouvelles cloches.
Mais, l’une d’entre elles avait pu échapper à cette Saint-Barthélemy des cloches.
Légèrement fêlée et produisant un son particulier, elle avait été descendue du clocher en 1885 et remplacée par les deux nouvelles. La paroisse l’avait vendue au Palais des Beaux-arts de Lille où elle était exposée, avant-guerre. C’est ainsi que cachée dans les réserves du musée, elle avait pu échapper à la rapacité de l’armée allemande. Voici comment le bulletin paroissial de mai 1910 la présente : « Il n’y avait dans le clocher qu’une seule petite cloche (« Je m’appelle Pierre »), fondue en l’an 1525 par Pierre Wagheues et provenant du prieuré de Fives qui, probablement, l’avait achetée à l’église Saint-André à Lille, lors de sa démolition, laquelle église dépendait de la Collégiale Saint-Pierre. Ce qui le fait supposer, ce sont deux médaillons gravés sur la cloche : l’un représentant saint André avec sa croix, l’autre, saint Pierre avec ses clefs. Il s’y trouve, en outre, deux autres médaillons : le Père éternel, avec le globe du monde et entouré de gloire, et la Sainte Vierge, avec l’Enfant Jésus… ». Ce même bulletin paroissial la décrit dans le moindre détail, ce qui laisse supposer que l’auteur du texte a eu tout le loisir de la contempler : « Elle porte comme inscription, en minuscule gothique : « Peter ; Ic ghegoten van Peter Wagheues, int iaer MCCCC XXV. » Traduction : (Je m’appelle) Pierre ; j’ai été fondu par Pierre Wagheues en l’an 1525. »
Selon les mêmes sources, cette cloche existait dans la commune
bien avant la construction de l’église.Elle servait à sonner la retraite les dimanches et les jours de fête, et se trouvait au lieu-dit : « Au Duc », chez Mme Valez-Carbonnel, route de Roubaix, près de l’actuel Pont-du-Lion d’Or. Tous les autres textes mentionnant l’existence de cette cloche, reprennent celui du bulletin paroissial de 1910… avec parfois, quelques enjolivements. Mais, peu de gens avaient pu la voir et il n’en existait aucune photographie. De telle sorte, que certains doutaient même de son existence ! Mais, après un siècle et demi, voici que le Palais des Beaux-Arts de Lille nous adresse aimablement la première photographie – jamais publiée – de la cloche de Pierre Wagheues. Elle est répertoriée dans les réserves du Musée comme suit : « Cloche en bronze, XVIe siècle, pesant 131 kg et demi, 270 frcs, achat à l’Eglise de Mons-en-Baroeul, en octobre 1885 ». La cloche historique de l’église Saint-Pierre n’est pas représentée ici dans sa totalité, mais on peut lire très clairement : « M CCCCC XXV », c’est-à-dire, 1525 ! Il s’agit bien de la cloche décrite par le bulletin paroissial de 1910 ! Cette cloche qui, après un siècle et demi, réapparaît en pleine fête de Pâques, n’est-ce pas un beau conte ? Un conte de Pâques !
À la fin de l’année 2021, on va célébrer le centenaire de l’installation des cloches qui ont remplacé celles confisquées en 1917. La Mairie a l’intention de célébrer l’événement. La Paroisse a le projet de demander le prêt de la cloche historique au Musée et de l’exposer dans l’église Saint-Pierre, de telle sorte que les Monsois puissent venir l’admirer. Cette histoire de cloche est loin d’être terminée !
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« Lille Occupée, 1914 – 1918, en images », Alain Cadet, Les Lumières de Lille, 2018, (un livre qui évoque les sujets traités dans cet article)