La Citadelle de Lille : plus de trois siècles d’Histoire de France, I/II : 1667 – 1792

Patrimoine lillois

Ce bâtiment remarquable dont la construction a débuté à la fin de l’année 1667, a traversé les siècles. Il a eu un rôle de premier plan, lors des nombreux sièges de la ville. La Citadelle a été l’un des endroits où s’est écrite l’Histoire de la Région. Après la première Guerre mondiale, malgré, l’abandon des systèmes de fortifications comme moyen de défense, la Citadelle de Lille a toujours gardé sa vocation militaire.

En 1680, le roi Louis XIV vient visiter « sa » Citadelle tout nouvellement construite

« Je prétends vous faire tomber d’accord que ce sera ici la Reine des Citadelles », Vauban, 1668.

« Plus il les rendit rasantes, moins elles étaient en prise. Il construisit la Citadelle de Lille sur ces principes », Voltaire, 1751.

« Ville assiégée par Vauban, ville prise. Ville défendue par Vauban, ville imprenable », proverbe français du XVIIIe siècle

La prise de Lille et Vauban

La construction de cette citadelle est indissociable de son concepteur, Sébastien Le Prestre, dit Vauban L’importance qu’il prit auprès du roi Louis XIV, dut beaucoup à son insolent succès lors du siège de Lille, en 1667. Né en 1633, à quelques lieues d’Avallon, dans le Morvan, il n’était qu’un « petit gentilhomme de Bourgogne, tout au plus », selon Saint-Simon. Son « Dossier » auprès du roi et de ses gentilshommes n’était pas excellent. Il avait été fait prisonnier au début des années 1650, lors de l’épisode de la Fronde, alors qu’il servait l’armée de Condé, opposée alors à celle du Roi. Il avait dû, pour retrouver sa liberté, s’engager dans l’armée royale. Le jeune « Ingénieur du roi » avait beau être l’un des meilleurs de sa spécialité, farouche au combat, plusieurs fois blessé dans des circonstances héroïques, excellent artilleur, il n’avait guère la confiance de ses supérieurs. 

En 1667, Vauban est déjà âgé de trente-quatre ans. Sa carrière militaire stagne ! Pour prendre Lille, ville au passé bourguignon, il aurait été paradoxal d’en confier le siège à un enfant de la Bourgogne ! C’est pourtant ce qui arriva !

En cette année 1667, Louis XIV, qui prétend avoir des droits sur une partie de la Franche-Comté et des Pays-Bas, a réuni une armée de 50 000 hommes pour se rendre maître de des territoires convoités. Après la prise de Charleroi, de Tournai et de Douai, il s’attaque à Lille. La ville est l’une des capitales romanes de la Flandre – entendez par là que la langue principale qui y est en usage, ressemble beaucoup au français –. Elle est, en cette fin du XVIIe siècle, sous domination espagnole. Le gouverneur Spinola ne dispose que de 2900 fantassins et 900 cavaliers pour défendre la cité. En face, se trouve une armée française de 35 000 hommes, sous les ordres de Turenne. Elle est dotée d’une artillerie moderne constituée essentiellement de lourds canons.

En 1667 sur les hauteurs de Fives, le Roi évalue la situation. Au loin on distingue Lille et ses ramparts

Les forces en présence sont disproportionnées.

Prendre la ville n’est qu’une question de temps. Il existe cependant deux écoles pour mener le siège : celle des vieux généraux, partisans d’attaquer la muraille à l’endroit où elle est la plus faible…  et celle de Vauban ! Le jeune officier, qui a fait le tour des remparts à cheval, est d’avis de mener l’attaque principale en direction du quartier Saint-Sauveur, de la porte de Fives et de la Noble-Tour. Si les murs y sont imposants, ils n’ont pas été rejointoyés depuis plusieurs décennies. À leurs pieds, se trouve un solide plateau calcaire adapté à la mise en batterie des lourds canons de l’artillerie royale. Comme Vauban promet de prendre la ville en quinze jours et que c’est beaucoup moins que les projets alternatifs, Louis XIV, malgré son grade modeste, lui confie la direction du siège de la ville. L’entreprise est un franc succès. Lille est conquise en moins de dix jours. Le roi va noter dans ses mémoires : « Jamais le siège d’une place de cette étendue, de cette force et de cette importance, munie abondamment d’hommes, de vivres et d’armes, n’avait été mené si brusquement… » C’est le début d’une grande carrière pour Vauban.

Renforcer le système de défense de la ville et du Royaume

Pour Louis XIV et ses conseillers, le maintien de la ville de Lille dans le giron français est une nécessité. Au-delà de son esprit de conquête, dans cette époque où le contour des royaumes se dessine à coups de campagnes militaires, le Roi sait que le maillon faible de son système de défense est sa frontière du Nord. Pour préserver la France contre les Pays-Bas espagnols, toujours prêts à lever une armée d’invasion, l’idée qui prédomine est celle d’une double ceinture de places fortes qui défendrait la frontière du Nord. C’est ce que le Roi et ses conseillers appellent « le Pré carré. » Parmi la première ligne des villes fortifiées, la ville de Lille occupe une place de choix dans le dispositif. Elle est la sentinelle qui fait face aux Pays-Bas. La prise récente de la place a mis en relief les faiblesses de ses dispositifs de défense.

Lille et ses remparts en 1667

Il convient de les réétudier et de faire de Lille un lieu difficile à prendre pour une armée d’invasion. Vauban, à la suite de ses exploits dans la conduite du siège, est devenu l’étoile montante au firmament du Roi-Soleil. Au grand dam de ses concurrents, Louis XIV lui confie les destinées de la place de Lille. Celui qui avait été si imaginatif pour la conquérir était le mieux placé, à ses yeux, pour trouver les moyens de la défendre.

La Ville et la Citadelle

Il serait exagéré, comme on le dit parfois, d’attribuer à Vauban l’idée d’une citadelle. C’était une vieille lune de l’art militaire dès qu’il s’agissait de défendre une ville fortifiée. D’ailleurs, dès la fin du XIIIe siècle, les ancêtres du roi n’avaient-ils pas fait bâtir le Château de Courtrai pour conforter l’enceinte de la ville de Lille. Une citadelle, possédant son système de défense autonome, allonge toujours la durée d’un siège. Elle rend la tâche des assaillants plus ardue et plus onéreuse. Pour autant, cette citadelle lilloise sera l’occasion de quelques progrès et innovations dans l’art militaire.

Elle se situe dans un projet global de la défense de la place-forte. Aussi, tout au long de la muraille de la ville, Vauban et les services du Génie du roi vont-ils apporter des changements destinés à améliorer son système de protection. Certains murs seront même abattus comme celui de la face-ouest, pour être reconstruits un peu plus loin, augmentant ainsi l’empreinte urbaine et permettant la naissance de nouveaux quartiers. C’est notamment le cas pour toute une partie du Vieux-Lille, avec ses rues rectilignes, caractéristiques de ce nouvel urbanisme du XVIIe – XVIIIe siècle. Au-delà de l’aspect militaire, cette refondation de la ville a un sens économique. La vente des terrains intra-muros nouvellement conquis, aux aspirants propriétaires, va permettre de financer une grande partie de la construction des remparts redessinés et de la Citadelle. On estime que la construction de ce « Quartier Royal », contemporain des travaux, a contribué, pour environ un tiers, à régler la facture de l’édifice.

La nouvelle enceinte urbaine selon Vauban. Elle va perdurer jusqu’aux années 1860

Ce remodelage du système de défense va s’accompagner de la construction, au sud, d’une autre enceinte fortifiée autonome, le Fort du Réduit, situé tout près de la Porte des Malades (actuelle Porte de Paris) et du quartier populaire de Saint-Sauveur. Ainsi, désormais, pour reprendre la ville de Lille devenait-il nécessaire, en plus de la cité, de se rendre maître de ces deux forts. Ce dispositif allongeait substantiellement la durée du siège et augmentait le coût de la campagne militaire qui l’accompagnait.

Le fort du Réduit

C’était une forme de dissuasion ! Vauban, commente ainsi le dispositif de la cité : « Elle ne peut être pratiquement attaquée que par le côté ville, ce qui obligera l’ennemi à mener deux sièges successifs, avec les pertes et les retards dont la répercussion sur le cours de la campagne pourront être considérables. »  En outre, un siège prolongé permettait, au cas où cela serait rendu possible par les circonstances, d’avoir le temps d’acheminer des troupes de renforts pour désencercler la ville.  Si l’existence de forts ou de citadelles était une manière de répondre aux dangers venus de l’extérieur, elle permettait aussi d’écraser les éventuelles « frondes » qui pouvaient naître à l’intérieur de la ville. Avec la Citadelle, couvrant le nord-ouest de Lille et, au sud, le Fort du Réduit, aux portes de Saint-Sauveur, un endroit où on pouvait toujours craindre les révoltes, la troupe n’était pas loin pour réprimer les éventuels opposants. Si ses murs épais étaient conçus pour empêcher qu’on puisse rentrer à l’intérieur de la forteresse, ils étaient également efficaces pour garantir que l’on n’en puisse sortir. Ainsi, les deux forts étaient aussi, à l’occasion, des prisons destinées à accueillir les récalcitrants. À l’intérieur de ces enceintes militaires – surtout la Citadelle – on va pouvoir construire des casernements, ce qui permet d’éloigner les militaires de la garnison du cœur de ville et de limiter les incidents entre les soldats du roi et les habitués, aux portes des estaminets. D’ailleurs, cet aspect avait été négocié, d’un commun accord entre le Magistrat et le Roi, dans le traité de reddition de la ville de 1667.

La Reine des Citadelles

Cette expression est de Vauban, lui-même. Il considérait la Citadelle de Lille comme son chef-d’œuvre. C’était aussi l’avis de Louis XIV. Lorsqu’il voulait impressionner un visiteur étranger, il lui montrait deux choses : le palais de Versailles et la citadelle de Lille. L’attribution du chantier à Vauban ne se fit pas sans mal.

Le ruisseau du Bucquet, face à l’ancienne église des Dominicains dans le faubourg Saint-Pierre. Un lieu marécageux qui va connaître une vocation militaire..

Celui qui passait pour le meilleur des ingénieurs du roi, Nicolas Chevalier de Clerville – et qui avait d’ailleurs été l’un des maîtres de Vauban, tandis que ce dernier n’était encore que l’un de ses « diacres » [1] – semblait tout indiqué pour effectuer cette tâche. D’ailleurs, c’est sous l’autorité du Chevalier que Vauban va repérer les lieux de la future construction. Le choix des deux hommes est une innovation par rapport aux usages antérieurs de l’art militaire. Alors qu’il était de tradition d’insérer la citadelle dans les remparts, Vauban et Clerville choisissent un emplacement, situé hors de la ville, à quelques encablures du mur d’enceinte. Cela représente plusieurs avantages : on dispose d’une totale liberté quant à la forme de l’édifice ; le mur d’enceinte étant battu par les canons de la forteresse on va pouvoir y économiser la construction de quelques nouveaux bastions ; pour conquérir la forteresse, il faudra mettre en place un nouveau siège en s’exposant en terrain découvert battu par l’artillerie de l’ouvrage. Les deux hommes, vont dénicher le terrain idéal. C’est un îlot, contourné par le ruisseau du Bucquet, dominant légèrement une succession de terrains marécageux et insalubres, qu’il est très facile d’inonder en cas de besoin en détournant les eaux de la Deûle. Fort de ces repérages, le Chevalier de Clerville adresse à Versailles un projet de forteresse quadrangulaire à l’écart du mur d’enceinte principal.

Le château de Versailles, la demeure du roi et le centre de toutes les décisions importantes du royaume

La proposition ne séduit guère Louis XIV pas plus que ses conseillers. Il est demandé à Vauban – la nouvelle coqueluche du Roi – de s’atteler à une nouvelle copie. Pour y travailler, Vauban est bien seul. Sans aide, accaparé par sa tâche de capitaine du roi, il doit effectuer lui-même les mesures et les observations sur le terrain, étudier les marchés, contacter des entrepreneurs capables de réaliser les travaux, repérer les ouvriers et les cadres du bâtiment susceptibles de travailler à l’édifice. Finalement, à la mi-novembre 1667, son projet est agréé. Il s’agit d’un bâtiment pentagonal, comportant cinq courtines et cinq bastions protégés par des demi-lunes. Cette conception est très nouvelle. Elle sera le prototype des 160 places fortes que Vauban fera construire par la suite sur tout le territoire français.

La Citadelle de Lille, prototype des ouvrages de défense du territoire français

Dès la fin novembre, on va pouvoir débuter ce chantier pharaonique.

On commence par creuser les fossés avec une équipe de 400 ouvriers spécialisés, 2400 paysans recrutés dans toutes les communes de la châtellenie de Lille et tous les soldats de la garnison lilloise, reconvertis pour l’occasion en terrassiers. C’est un véritable tour de force de mener ce travail de titan dans ce terrain boueux et inhospitalier. Quand il s’agit de commencer la construction, cela se complique un peu plus. Il arrive environ huit mille blocs de pierres par jour depuis les carrières d’Esquermes et de Lezennes. Ils sont transportés par d’innombrables charrois à raison d’une centaine de blocs par voiture. C’est une dépense considérable. Vauban fait creuser un canal entre Esquermes et la Haute Deûle qui est en service, dès le premier trimestre de 1669. Un seul bateau transporte désormais par jour, plus de pierres que cent chariots. Pour amener les briques Vauban fait creuser un autre canal entre le Rivage (le port de la Basse Deûle) et le chantier.

Cependant, tous ces matériaux ne suffisent pas à alimenter ce chantier colossal qui ne nécessite pas moins de douze mille blocs de pierre par jour. Qu’à cela ne tienne, on va démolir les châteaux de Warneton et d’Erquinghem-sur-la-Lys, récupérer les pierres de la ferme de Wazemmes de l’évêque de Tournai ainsi que les murs de l’Abbaye de Loos. Pour mener à bien le chantier de la Citadelle, il ne faudra pas moins de trois millions et demi de parpaings de pierre constituant l’épaisseur des murs soixante mille pieds de grés pour les soubassements et soixante millions de briques pour le revêtement. Pour diriger ce chantier exceptionnel, Vauban s’est assuré le concours de Simon Vollant, un maître-maçon lillois, alliant un grand savoir-faire technique et des qualités de meneur d’hommes remarquables. Une part de la réussite du projet lui revient certainement. En octobre 1670, ce bijou de l’art militaire, qui domine les plaines marécageuses de l’ouest de Lille, est terminé. Sa construction aura coûté un million quatre cent mille sept cent deux livres, deux sols et cinq deniers.

Le voyage du Roi à Lille en 1680. Arrivé en carosse, il demande un cheval pour se rendre à la Citadelle.

Cette même année, Louis XIV se rend à Lille en carrosse. Parvenu sur la Grand-Place, il demande immédiatement un cheval pour accourir vers la Citadelle. Il va passer quatre jours dans la capitale des Flandres, visitant quotidiennement la forteresse de Vauban… en parfait accord avec son image de monarque, puissant et orgueilleux. Vauban est soucieux d’insérer sa fortification, dans un dispositif global de défense de la ville et de la région du Nord qui puisse prévenir les invasions. Il met en place un système d’arrivée des eaux dénommé « l’Inondation » qui, en cas de conflit, permettait d’immerger mille-sept-cents hectares sous un minimum de cinquante centimètres d’eau.

Ce système était encore opérationnel en 1914, mais il n’a pas été mis en œuvre car il avait été oublié par l’état-major de l’époque… qui avait d’autres préoccupations ! Vauban réclame au Roi la mise en place de deux « camps retranchés » établis à proximité de Lille. Cette disposition lui paraît indispensable pour garantir la protection de la frontière : « Qu’elle donne protection à une armée inférieure contre une armée supérieure ; qu’elle lui donne un champ d’opérations plus favorable pour se maintenir et empêcher l’armée ennemie d’avancer et des occasions de l’attaquer avec avantage ; qu’elle fournisse les moyens de gagner du temps pour permettre à des secours d’arriver. » Ce conseil judicieux ne fut pas entendu par le roi. Ses différentes campagnes militaires avaient fini par ruiner les finances du royaume. Peut-être s’en mordit il les doigts en 1708, lorsque les princes hollandais vinrent à nouveau assiéger Lille. D’ailleurs, si ces défenses avaient existé, sans doute n’auraient-ils même pas tenté l’aventure.

1708

En l’an 1708, les Hollandais sont de retour à Lille, « bien accompagnés » par les Anglais et les Allemands. Leur armée coalisée prend le nom d’Alliance. Ce qui a déclenché ce nouvel épisode belliqueux, c’est la « Succession d’Espagne ». Le testament du dernier roi défunt vient de désigner comme successeur au trône un des petits-fils de Louis XIV. L’Espagne de ce tout début du XVIIIe siècle, c’est aussi les Indes, la Sardaigne, la Sicile, la Bourgogne et les Pays-Bas : une situation jugée inacceptable par les grandes puissances européennes, au premier rang desquelles on retrouve l’Angleterre et le Saint Empire germanique. Elles se liguent pour mener une nouvelle guerre contre la France. Lille constitue une cible de choix.

Le siège de 1708

Elle est toute proche de Bruxelles et d’Amsterdam, deux centres névralgiques de la coalition. C’est une des anciennes capitales de la Flandre : un symbole à reconquérir. Forte de 50 à 60 000 âmes, elle est renommée pour son opulence et son dynamisme. Dans l’armée « Alliée », on désigne cette châtellenie comme « le Pays de Ghelt » c’est-à-dire, « le Pays de l’argent », un endroit rêvé à piller et rançonner ! Ce conglomérat de contingents anglais, hollandais, danois associé aux troupes du Saint empire, de Hanovre, du Palatinat et de la Hesse est commandé par le prince Eugène de Savoie, le duc de Malborough, et le prince Jean-Guillaume d’Orange. Le 6 août un convoi de 6000 chariots de munitions, 94 pièces de canon et de nombreux mortiers, part de Bruxelles en direction de Lille. Bientôt, la capitale des Flandres est entourée d’une armada de plus de 75 000 hommes en armes et d’un parc d’artillerie de 120 pièces de canons, 40 mortiers et 20 obusiers. À moins de troupes de renforts venues de France, la défense de la ville et de sa citadelle est devenue impossible.

La Citadelle de Lille, "la pus belle des citadelles", selon Vauban, fait partie de l'ADN de la capitale des Flandres. Construite à la fin du XVIIe siècle, elle a conservé sa vocation militaire.
Document de « propagande » des Etats alliés opposés à la France.

La zone est devenue un véritable camp retranché tenu solidement par les assaillants. Les maigres forces françaises sont dans l’incapacité de desserrer l’étau de l’armée coalisée qui entoure la ville. On reprochera beaucoup par la suite aux ducs de Bourgogne et de Vendôme, qui commandaient les troupes royales, leur attitude attentiste, notamment en omettant d’attaquer un convoi de ravitaillement qui était à leur portée, mais d’autres ont approuvé cette prudence, dictée par le rapport de force très défavorable aux troupes françaises. Ce ne fut sans doute pas l’avis de Louis XIV qui, après le siège, changea le commandement de son armée du Nord. L’artillerie des « Alliés » put s’installer tranquillement au nord-est de la ville, du côté de la Madeleine et de la Porte d’eau, tandis que la troupe et les terrassiers, entreprenaient de creuser des tranchées d’approche, sans autre contrariété que celle de l’action des défenseurs de la ville.

La garnison lilloise est commandée par Louis-François de Boufflers, un excellent officier du roi.

Mais au lieu des 13 000 hommes qu’avait prévu Vauban pour défendre la ville en cas de siège, il n’en dispose qu’à peine de 8000 en capacité de servir. Et encore, beaucoup d’entre eux, blessés, étaient devenus infirmes, pouvant tout juste rendre quelques services dans la mise en batterie des canons. Le manque d’argent, l’état de guerre continuelle, avaient causé des vides profonds dans les rangs des armées du roi. L’état catastrophique des finances publiques, la désertion, les difficultés à renouveler les effectifs, rendaient cette guerre contre un ennemi bien plus puissant, extrêmement périlleuse. Boufflers et ses hommes font des miracles. Mais cela ne suffit pas ! Le 28 octobre 1708, après 61 jours de siège, la ville est prise. Les assaillants ont perdu 18 000 hommes au cours de ces combats. Pour autant, la lutte n’est pas terminée. Le maréchal de Boufflers, se retranche dans la citadelle avec ses hommes et son artillerie. Il va tenir 43 jours supplémentaires, émaillés d’épisodes héroïques. Le 11 décembre, Boufflers qui a négocié les termes de sa reddition avec Eugène de Savoie et consorts, se retire de la Citadelle avec ses hommes et son matériel et part en direction de Douai. Il est à la tête d’une troupe hétéroclite, aussi mal habillée que mal équipée. Beaucoup de ces soldats sont blessés ou en très mauvais état. Très peu d’entre eux sont indemnes. Pourtant, c’est ce débris de troupe en guenille qui a résisté plus de cent jours, face à la formidable coalition réunie par les grandes nations européennes. Pendant tout ce temps, ces hommes avaient attendu avec ardeur l’armée de secours, mais elle n’était jamais venue.

La reddition de Boufflers vue du côté des éléments ‘jusqu’au-boutistes » de la coalition alliée. Ils reprochent à Eugène de Savoie, Guillaume d’Orange et consorts d’avoir négocié la reddition avec le général français alors qu’ils auraient fini par se rendre maîtres de la Place. Ce n’est pas faux, mais en même temps la Guerre coûtaît cher aux Etats alliés qui avaient déjà perdu des dizaines de milliers de soldats, lors du siège.

La prise de la ville s’accompagne d’exactions et de violences tandis que dans les campagnes, on incendie les maisons les églises et les châteaux. On pille, on viole, on tue. Les Lillois, très catholiques, n’entendent pas se réformer à la mode de leurs nouveaux maîtres protestants. Le clergé mène une sourde guerre d’opinion contre l’occupant. La population lilloise est, dans sa très grande majorité, hostile à sa nouvelle gouvernance. Même Malborough, qui commande le contingent anglais, doit en convenir : « Il ne sont nullement portés vers nous. Au contraire, ils nous viennent en aide le moins possible. », écrit-il. Dans les campagnes, les opérations de pillage continuelles marquent le pas car il n’y a plus rien à manger. Plutôt que de se faire voler leur récolte, les paysans n’ensemencent plus leurs champs. Toute la campagne de la châtellenie de Lille reste en friche. C’est la famine en ville comme dans les villages.

Cet épisode du siège s’est accompagné de la famine , grandissant avec la gouvernance particulière des nouveaux maîtres de la Chatellenie. L’actualité est traitée par un dessinateur-satiriste flamand qui possède son humour propre.

Les assiégeants qui pensaient tirer le plus grand parti de leur domination sur la ville de Lille sont très déçus. Au lieu des 80 000 écus demandés au Magistrat de Lille ils n’en obtiennent, avec la plus grande difficulté qu’à peine 50 000. Dans les campagnes, le rançonnage des communes est également très peu productif. Même en emprisonnant des otages choisis parmi les notables des petites villes, l’argent souhaité manque à l’appel, tout simplement parce qu’il n’existe plus !

Le Duc de Malborough sur un champ de bataille.

Eugène de Savoie et ses troupes s’emparent de plusieurs autres places du secteur. Il mène des raids sanglants vers le sud, jusqu’aux portes d’Abbeville, pillant et rançonnant les villes et les villages. La France et son roi sont en très grand danger. La conquête de Paris fait désormais partie des hypothèses possibles. Louis XIV nomme à la tête des troupes du Nord le maréchal de Villars. C’est sans doute son meilleur stratège. Dans un climat de forte mobilisation contre l’envahisseur, Villars reprend les choses en main. Il recrute de nouvelles troupes et s’efforce de les organiser et de les motiver. En septembre 1709, près de l’actuelle frontière avec la Belgique a lieu la bataille de Malplaquet.

La bataille de Malplaquet, 11 septembre 1709

C’est un événement dont on ne parle pas beaucoup car ce ne fut, ni une victoire pour la France, ni un événement glorieux pour la coalition des Alliés. Eugène de Savoie et Malborough, attaquent les troupes françaises sous les tirs de l’artillerie du roi de France. Ils finiront par se rendre maître du terrain tandis que Villars se retire en bon ordre. Mais ils perdront quatre fois plus d’hommes que les Français. C’est une victoire à la Pyrrhus : un poison pour le moral des troupes alliées, qui, en cette année 1709, n’était plus vraiment au beau fixe. C’est, de fait, un frein pour les troupes coalisées qui n’éprouvent plus autant qu’avant le besoin de se frotter à ces Français, inférieurs en nombre, mais très rugueux. L’idée de la conquête du royaume de France s’éloigne, au profit d’une période de statu quo. En 1712, sous le commandement de Villars, les Français sont au nombre de 200 000. Ils n’ont jamais été aussi nombreux.

Mais en face, ils sont le double. Fidèle à ses bonnes habitudes Eugène de Savoie s’empare du Quesnoy et incendie tous les villages alentour. La situation est critique. Malgré les risques, Villars se doit de contre-attaquer. Il est secondé par Pierre de Montesquiou d’Artagnan, un officier imaginatif et énergique. Les deux hommes jettent leur dévolu sur la ville de Denain qui vient d’être conquise par Eugène de Savoie. Ils vont y mener une opération mêlant la ruse et la détermination. Ils prennent possession de tous les ponts alentour. Après une manœuvre de diversion destinée à attirer les troupes d’Eugène dans une mauvaise direction, les Français attaquent Denain avec la plus grande vigueur. Ce sont des troupes fraîches, très motivées, tandis que les soldats qui gardent la ville sont émoussés par quatre ans de guerre. C’est la panique chez les Austro- Hollandais. Beaucoup d’entre eux perdent la vie, les autres fuient en grand nombre ce qui provoque l’écroulement du pont et la noyade de centaines de fantassins. Eugène réunit à la hâte une armée pour châtier les Français et reprendre la place-forte. Mais, cette réaction avait été anticipée par Villars et d’Artagnan qui font sauter les ponts. Eugène reste confiné sur l’autre rive de l’Escaut, dans l’impossibilité de reconquérir Denain.

Villars emmenant ses troupes à Denain, suivant le côté français.

Cette campagne des Flandres stagne. Les Alliés, malgré leur supériorité numérique, ne sont plus en capacité d’écraser les armées du roi de France. L’entretien de cette troupe nombreuse commence à peser sur les finances des états coalisés. Un beau matin, sans prévenir personne et surtout pas ses alliés, Malborough, qui a reçu un ordre secret venu de Londres, se retire du terrain des opérations dans la plus pure tradition britannique. Eugène, se retrouve bien seul sur le champ de bataille. Les alliés proposent à Louis XIV de signer un traité de paix honorable pour les deux parties. L’Espagne et la grande perdante du traité d’Utrecht de 1713, la Hollande obtient des résultats mitigés, tandis que l’Angleterre est la grande gagnante. La France abandonne une grande partie de ses colonies aux Anglais, mais récupère la possession des villes du Nord dont Lille et sa citadelle. Quand l’armée française rentre pacifiquement dans la capitale des Flandres, elle est acclamée par la population. Cet épisode, initié en 1708 et conclu par le traité d’Utrecht, va retirer aux Lillois, pour plusieurs générations, l’envie de subir à nouveau le joug flamand des princes hollandais.

1792

Au mois de septembre 1792, les Hollandais, les Belges et les Autrichiens sont de retour à Lille pour un nouveau siège de la ville. Leur chef s’appelle Albert de Saxe-Teschen. Il est né, pas très loin de Dresde, dans l’actuelle Allemagne orientale. Désormais, il gouverne les Pays-Bas. Le contexte de cette époque est particulier. Les Français, en 1789, s’étaient lancés dans, La Révolution, qui entendait jeter les bases d’un État différent de ceux des vieilles monarchies européennes. Dans ce contexte, la France se retrouve à nouveau en guerre avec l’ensemble de ses voisins, d’autant plus facilement que, c’est elle qui, la première, va déclarer la guerre à l’Autriche. Sur le Front du Nord, l’armée révolutionnaire, inexpérimentée, dont beaucoup de ses chefs apprennent dans l’action les rudiments de leur métier, subissent une suite de revers. C’est une opportunité pour Albert de Saxe-Teschen de se rendre maître de la place de Lille.

Le siège de Lille en 1792. Un mélange de bombardement barbare et de mondanités. Ces dames de la cour autrichienne viennent accompagner leurs maris sur le champ de bataille.

Il dispose d’une armée relativement modeste (11 000 fantassins et 1800 cavaliers appuyés par une artillerie assez disparate : 24 canons de gros calibre, 12 mortiers et de nombreux obusiers). La partie n’est pas gagnée ! La ville est défendue par 7500 fantassins, 1200 cavaliers et 132 artilleurs. Elle dispose d’un parc de canons, hérité des armées de Louis XVI qui ne manque pas de qualité. Le rapport de force entre assiégés et assiégeants est très différent de celui du siège précédent. Lille, à cette époque, est acquise aux idées de la Révolution. Il ne faut pas voir ces Révolutionnaires lillois comme une troupe en guenille. C’est plutôt la bourgeoisie éclairée qui en fournit les principaux contingents, dont certains, affairistes, font fortune sans grand effort, en achetant pour une bouchée de pain les biens du clergé et de la noblesse afin de les revendre avec un important bénéfice. Mais, dans le peuple, les souvenirs laissés par l’occupation précédente des austro-hollandais, sont une profonde motivation pour résister à l’envahisseur.

Tous les vitraux des églises lilloises (hormis ceux de la chapelle du palais Rihour) sont saccagés pour récupérer les plombs et en faire des balles de fusil. Ce rapport de force, presque équilibré, et la détermination des défenseurs, n’entame pas la confiance d’Albert de Saxe-Teschen, car il a un plan. Son artillerie sera tout à fait suffisante pour détruire la ville et terroriser la population, ce qui, selon lui, entraînera sa reddition. Comme au bon vieux temps du roi Louis XIV, il va utiliser les mêmes techniques, les mêmes routes, le même solide plateau calcaire, au pied des remparts de Saint-Sauveur, pour creuser les tranchées et installer ses canons. Le 26 septembre 1792, le prince est dans les faubourgs et propose à la ville de l’épargner, contre reddition. Il reçoit une nette « fin de recevoir » de la part du maire, André Bonte, passé à la postérité sous le nom de « Maire André ». Il est marchand de dentelles de son état, mais son message est martial : « Nous venons de renouveler notre serment d’être fidèle à la nation, de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir à notre poste. Nous ne sommes pas des parjures. » Le bombardement de la ville commence le 29 septembre. 30 000 boulets, 6000 projectiles de mortier, chauffés au rouge cerise ou bourrés d’explosifs, vont provoquer la mort et l’incendie dans toute la ville. La Citadelle reçoit quelques boulets, mais rien de très méchant.

Dans le quartier Saint-Sauveur, en première ligne, plus de 400 maisons seront incendiées.

Par contre, en ville, c’est le désastre ! Rien que dans le quartier Saint-Sauveur, qui est en première ligne, on va relever plus de 400 maisons détruites. La magnifique flèche en pierre ouvragée de l’église du XIVe siècle s’écroule et le dévouement des paroissiens sauve, in extremis, l’édifice de l’incendie. Saint-Étienne et Saint-Pierre ont moins de chance. La première église est quasiment rasée tandis que la seconde, irréparable, devra subir le même sort dans les mois qui suivent. Lille ne se rend pas pour autant. Les artilleurs volontaires, commandés par un bourgeois lillois, Charlemagne Ovigneur, qui, à cette occasion, se révèle farouche capitaine, donnent du fil à retordre à leurs homologues autrichiens. Ils parviennent à détruire un nombre significatif de mortiers et de canons ennemis.

La puissance de feu d’Albert de Saxe-Teschen s’amenuise. Les munitions viennent à lui manquer. Le 7 octobre, le prince lève le camp et se replie vers la Hollande. Comme pour le siège précédent, on attendit, en vain, l’armée de secours pour libérer la ville. Cet épisode fut célébré comme une grande victoire, à Lille comme à l’Assemblée nationale. On reparla très longtemps dans la capitale des Flandres de tous ces héros qui s’étaient illustrés au cours de ce siège héroïque de 1792. On fit sculpter une statue désignée le plus souvent sous le nom de « statue de la Déesse ». Installée sur la Grand-place, elle ne fut inaugurée qu’en 1845, tandis que le lieu fut, dans les décennies suivantes, le théâtre de grandes manifestations commémoratives.

Sur la Grand-Place de Lille, on va ériger une statue, « la Déesse », en souvenir de cet épisode tragique.

Albert de Saxe ne put entreprendre le siège de la Citadelle. La prise de la ville, selon le dispositif imaginé par Vauban, aurait été un préalable. Après cet épisode tragique, la Citadelle de Lille, devait connaître plus d’un siècle de tranquillité, malgré un contexte international inquiétant, émaillé de nombreux épisodes guerriers.

[1] En quelque sorte, l’un de ses assistants.

Le coin de la culture :

« L’acquisition des Pays-Bas espagnols fournirait à la Ville de Paris un boulevard inexpugnable », Mazarin, 1648

« Sa Majesté ordonna la citadelle qui est de cinq bastions royaux liés par autant de courtines et accompagnée de cinq grandes demi-lunes, environnées de fossés pleins d’eau et très profonds», Sébastien Le Prestre de Vauban, 1696

« En 1667, il (Vauban) eut la conduite des sièges que le roi fit en personne. Après le siège de Lille, qu’il prit sous les ordres du roi en neuf jours de tranchées ouvertes, il reçut une gratification considérable. Le roi lui donna le gouvernement de la citadelle de Lille. », L’agronome, dictionnaire portatif du cultivateur, 1776

« Malbrough s’en va en guerre,
Mironton, mironton, mirontaine,
Malbrough s’en va en guerre,
Ne sait quand reviendra.

Monsieur Malbrough est mort

Mironton, mironton, mirontaine,

Monsieur Malbrough est mort

Est mort et enterré », Chant populaire, 1708

« La mégère autrichienne, Christine, surnommée l’archi-tigresse, est venue elle-même contempler comme une fête cet affreux théâtre de barbarie et de férocité, et sur ses horribles représentations, ou reproches à ses satellites que le feu n’était pas assez ardent, les généraux autrichiens en ont fait un plus violent que jamais. Ils ont même jeté des morceaux de cordage enduits de goudrons », lettre des commissaires envoyés dans le département du Nord, lue à la Convention, 1792.

Un extrait du film de Stan Neumann, les Films d’Ici :

http://www.lesfilmsdici.fr/fr/1235-citadelle-vauban-la.html

Pour connaître la suite…

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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