Josette et Marcelle : que sont-elles devenues ?

Josette et Marcelle : que sont-elles devenues ?

Marcelle et Josette ont habité ensemble toute leurs vies. Leur histoire est singulière.

Chaque 8 mai, on commémore celui de 1945 où, l’Allemagne nazie capitula devant les Alliés. Elle avait fait beaucoup de mal à beaucoup de gens… avant et pendant la Guerre. Certaines victimes étaient françaises. Une partie de nos « médias » d’aujourd’hui célèbre « l’Armistice ». C’est un lapsus révélateur qui prouve que cette histoire est loin d’être terminée. Parler de la seconde Guerre mondiale et des femmes et hommes qui ont résisté aux serviteurs d’Hitler est une sorte de devoir. On l’appelle même parfois « le Devoir de mémoire ». C’est ainsi que je me suis mis à la recherche de vieux textes évoquant Marcel Pinchon. C’est un officier de réserve mort en essayant de préserver le territoire national des chars de Rommel. C’était sur le disque dur d’un vieil ordinateur. Oui, mais où ? On tape « Marcel » sur le moteur de recherche et l’on attend ce que va donner le « tirage ». Au bout de quelques minutes tous les « Marcels » de la ville apparaissent dans le désordre. Il y avait un fichier « Marcelle » qui m’a remis en mémoire une histoire que j’avais totalement oubliée. C’était il y a quatorze ans, pile ! Les photos numériques gardent trace de la date de prise de vue …et même l’heure ! C’est très cruel ! Je venais tout juste de commencer d’écrire des choses pour le journal local. J’avais troqué mon argentique pour un numérique pas très haut de gamme avec une optique standard (un D 80, pour ceux qui connaissent). Ma photo représente Josette, 81 ans, et sa mère Marcelle, 100 ans, bien tassés. L’astuce c’était de choisir une ouverture f8 – ou – approchant pour arriver à un « piqué » acceptable. La lumière naturelle de la fenêtre, c’était une base pour la lumière. Pour déboucher les visages, je n’avais qu’un vieux flash pour appareil argentique. Il fallait lui donner des informations fantaisistes pour arriver à un résultat possible. Bref, techniquement, c’est un peu du bricolage ! Mais si on ne le sait, ça passe ! J’avais mis en scène, l’image dans le style des photographes du début du XXe. Après tout, Josette et Marcelle venaient toutes deux de cette époque ! Josette tient un cadre avec un portrait de Marcelle, sa mère, et de son mari. On veut suggérer qu’on est dans le contexte d’une histoire qui vient de loin et mêle plusieurs époques. C’est ce qu’on appelle dans le jargon « une photo d’illustration », c’est-à-dire qu’elle raconte à peu près la même chose que le texte mais de manière différente. C’était très à la mode chez les photoreporters de la presse locale de l’époque. Aujourd’hui, plus personne ne pratique l’exercice. Les modes, ça va, ça vient ! Les expressions du visage de Marcelle et Josette, ce sont elles qui les ont choisies. Elles n’étaient pas prises à l’improviste. C’est ainsi qu’elles avaient voulu d’être représentées… pour l’éternité ! 

Sinon, leur histoire était à la fois banale et singulière. Josette était la fille chérie de ses parents et avait épousé un jeune-homme de son âge. Les deux couples habitaient dans deux petites maisons proches l’une de l’autre dans une ville voisine. Mais tous quatre vivaient alternativement dans l’une ou l’autre des deux maisons… toujours ensemble. Soixante-ans avant la date de ce récit, ils avaient pris une décision étonnante. Ils avaient vendu les deux petites maisons et avaient fait construire une grande où ils avaient tous emménagé. Pour faire le malin, j’avais écrit que Josette « vivait chez sa mère », tandis que Marcelle « vivait chez sa fille ». Les deux femmes étaient très honorées de me recevoir. Elles lisaient ce journal depuis ses débuts… soixante dix-ans facile ! La perspective d’y figurer et que cela soit connu de leurs amies, les mettaient en joie. Elles m’ont raconté leurs vies sans difficulté. Le mari de Josette a été le premier à partir une grande douleur pour le reste de la maison.

Le mari de Marcelle est tombé malade. Il nécessitait des soins constants.  Les deux femmes sont allées lui rendre visite, ensemble, chaque jour, à l’hôpital. Cela a duré pendant six ans. La vie a continué, entre femmes ! C’était un peu triste, mais, que faire d’autre ! Marcelle a toujours été une excellente cuisinière. Tous les dimanches, elle mitonnait un bon repas, bien arrosé comme il se doit. Jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans, c’est elle qui s’occupait de tout. Malheur à qui s’approchait de l’évier ou des fourneaux ! Elle n’a passé la main à Josette qu’avec beaucoup de regrets. Parfois la mère et la fille recevaient des amis. C’était l’occasion d’écouter de vieux disques et de se lancer dans de parties de belote ardentes. Marcelle était la championne incontestée du quartier. Elle comptait les cartes comme personne et devinait facilement le jeu des autres joueurs. Alzheimer n’était pas encore à la mode ! Quand elle jouait, son visage s’illuminait et elle paraissait avoir vingt ans de moins.

A la fin de l’entretien, Josette a insisté pour partager une bouteille de champagne. Il y en avait toujours une ou deux, au frais, dans le frigidaire. C’était un moment détendu. Marcelle aurait bien repris un second verre mais Josette n’était pas de cet avis. Marcelle n’a rien dit parce qu’on ne se dispute pas devant un étranger et que cela ne sied pas à une vieille dame qui a dépassé le siècle de se mettre en colère. Mais, je sentais sa déception et son courroux. 

Que sont Marcelle et Josette devenues ? Je n’ai pas eu de nouvelles, mais je crains le pire. Plus personne ne pense à elles aujourd’hui. Pourtant, rappeler leur mémoire est amplement mérité. Tant que celles ou ceux qui les ont connues seront vivants, il restera un peu d’elles dans leurs cœurs. 

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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