Un atelier d’écriture pour que les petits écrivains deviennent grands

Pour produire un livre intéressant, la phase critique est sans doute celle du premier jet. Il y a un avant, on se documente, on prépare ce qui va suivre. Il y a un après, on corrige le texte, on le peaufine, on illustre la publication. Mais, la qualité du livre, ce qui va lui permettre de trouver son public, se joue surtout, pendant le moment délicat de la première rédaction.

Une lecture en « Grand groupe » de l’un des textes en gestation : un moment obligé de cette pédagogie originale.

Écrire des livres avec des écrivains, pour les élèves et les enseignants de Mons-en-Barœul, une commune de la banlieue lilloise, c’est quasiment la routine ! Cela fait près de vingt ans que, dans le cadre de l’opération Créa’livre, de nombreuses générations d’élèves se sont investies dans cette démarche féconde. Tout commence en 2001, lorsque Alain Chevalier – l’actuel coordonateur du Réseau REP, instituteur à l’époque – accueille dans sa classe l’écrivain Didier Daeninckx. Il est connu pour ses récits policiers mais surtout pour ses romans engagés. Les deux hommes n’ont aucunement conscience d’initier une institution. Ils travaillent au jour le jour et, à la lecture des textes des élèves, ils sont les premiers étonnés des résultats produits. La formule est née : « écrire un livre avec l’aide d’un écrivain », un travail en grandeur réelle qui donne lieu à une publication destinée aux élèves des autres classes, aux parents, et à tous ceux qui ont un intérêt pour la littérature et la pédagogie.

L’écrivain Didier Daeninckx, à Mons, lors d’une précédente édition de Créa’livre.

Aujourd’hui, dans cette classe CM1 – CM2 de l’école Hélène Boucher – la seule école du département du Nord à pratiquer la méthode Freinet – l’animation du projet Créa’livre est incarnée par Sébastien Fermen, le directeur de l’établissement et Thierry Maricourt, écrivain, inscrit dans l’action monsoise depuis pratiquement les origines. « Cette méthode de travail ressemble beaucoup à notre pédagogie », explique Sébastien Fermen. « Nous essayons de faire en sorte que nos élèves soient des enfants-auteurs, des enfants- acteurs et non pas des enfants-consommateurs. Nos élèves s’investissent à fond dans la démarche. Ils sont heureux de réussir et ce qu’ils auront acquis dans cette phase de l’écriture des textes, restera dans leur bagage scolaire. »

La Classe de Sébastien Fermen de l’Ecole Hélène Boucher, acceuille l’écrivain Thierry Maricourt.

Dans cette étape du « premier jet de l’écriture », plus de temps fractionné comme c’est la règle d’un emploi du temps scolaire, plus d’aller-retour dans les différentes matières du programme. Pendant toute la semaine, on écrit des textes, on les lit aux autres élèves, on les critique, on les corrige, on y insère de nouvelles idées. L’écriture quasi-individuelle (par groupe de deux ou de trois) s’enrichit de la réflexion collective. Pendant toute cette semaine banalisée, Thierry Maricourt, l’écrivain en service, guide les élèves dans leur démarche : « On travaille d’arrache-pied pour produire tous ces textes qui, mis ensemble, vont constituer un livre mais on ne part pas de rien », dévoile l’écrivain. « Ce n’est qu’une étape dans le processus. En amont, les élèves ont travaillé avec leur enseignant. Le thème a été fixé, ils ont lu des livres et des articles de journaux, ils ont fait des sorties à l’extérieur de l’école, des recherches sur Internet…  Les élèves arrivent totalement sensibilisés au thème retenu. Ils ont déjà des idées précises de ce qu’ils veulent écrire avant même d’avoir entamé la semaine. Ce travail d’écriture, c’est une pédagogie complète où les élèves sont guidés à la fois par leur enseignant et par l’écrivain- intervenant. »

L’écrivain Thierry Maricourt aide deux élèves à corriger leur texte sur la Résistance

Les élèves de cette classe de l’école Hélène Boucher ont décidé de travailler sur la période 1940–1944 et particulièrement sur la Résistance dont la commune a été le théâtre.

Dans ces années douloureuses, quelques habitants du lieu, entraînés par les circonstances, sont devenus presque malgré eux, les héros de l’aventure. Quelques bribes de leur mémoire, peuvent être recueillis, ici ou là. Les élèves disposent de toute une documentation…en particulier des articles du journal local qui évoquent les grands noms monsois de la Résistance. « L’Histoire locale c’est une petite Histoire qui permet de comprendre la grande Histoire », avance Alain Chevalier qui, avec Sébastien Fermen, l’enseignant de cette classe a proposé cette thématique aux enfants. « Nous sommes allés visiter les différents lieux où se passe ces histoires, dans la commune. La plupart des enfants d’Hélène Boucher habitent Mons-en-Barœul. Ces endroits leur sont familiers. Malgré la distance historique ils évoquent quelque chose de concret et participent à leur motivation. »

Lily, l’un des personnages mis en scène dans les écrits des élèves pendant l’Occupation. Fille de Jeanne Parmentier, la Cheffe du Groupe Voix du Nord de Mons et secrétaire de formation, elle a dactylographié les premiers numéros du journal clandestin.

Que va-t-il rester de cette expérience dans la mémoire des élèves, petits écrivains en herbe qui, à travers leurs efforts scolaires, cherchent à grandir et à trouver leur place dans une société de plus en plus impitoyable ? Est-ce que ce travail peut les aider à exercer un métier très différent de celui de l’écriture, ou bien proche ? À ce propos, Thierry Maricourt, raconte une anecdote qui date de quelques semaines. Lors d’une conversation téléphonique avec Didier Daeninckx, l’écrivain du premier Créa’livre lui a raconté une aventure qui vient de lui arriver. Lors d’un rendez-vous dans une maison d’édition parisienne, une jeune femme, stagiaire dans l’entreprise, vient vers lui et lui dit : « Bonjour Monsieur, je suis très heureuse de vous rencontrer. C’est avec vous que j’ai pris goût à la littérature dans une école de Mons-en-Barœul. » Elle s’apprêtait à prendre un poste dans une maison d’édition !

Après cette semaine banalisée d’écriture, le travail est loin d’être terminé.

Il faudra encore lire et relire sans cesse, éliminer les fautes d’orthographe, les tournures de français incorrectes, les renseignements inexacts. Puis, il faudra organiser le livre en chapitres et l’illustrer. Si tout va bien, si la pandémie l’autorise, tout le monde, élèves, enseignants, parents, habitants de la commune, se retrouvera du 15 au 17 juin 2021 à la salle Salvador Allende pour une mise en commun. En 2021, Créa’Livre fêtera ses 20 ans d’existence. Il y a quelques années, Didier Daeninckx, le premier auteur à animer la manifestation, a promis, si Créa’livre existe toujours, de venir à Mons pour célébrer l’anniversaire des vingt ans ! Si le virus COVID 19 le permet, nous verrons s’il tient sa parole !

Un atelier de restitution animé par Didier Daeninckx, lors d’une précédente Edition de Créa’livre

Post-scriptum : Colette Grimonpont

Dans cette aventure pédagogique, dont les acteurs institutionnels sont présentés dans le texte ci-dessus, il y a un oubli : le rôle de Colette. Colette Grimonpont est une ancienne directrice d’école qui, bénévolement, donne de son temps pour accompagner les élèves. C’est une auxiliaire précieuse et qualifiée pour animer le travail en petits groupes et qui fait partie intégrante de la pédagogie particulière de cette démarche d’écriture. Sa participation concourt à l’excellence de ce projet.

Colette accompagne un petit groupe d’élèves en phase d’écriture.

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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