A la recherche du chaînon manquant : Blanquart-Evrard, 1802–1872

A la recherche du chaînon manquant : Blanquart-Evrard, 1802–1872

Grâce à la famille de Louis-Désiré Blanquart-Evrard, nous avons pu avoir connaissance des biens inscrits dans sa succession. La maison de 1846 où ont été réalisés les clichés appartenant à l’histoire de la photographie mondiale fait-elle partie de cette liste ?

 Autoportrait du Louis Désiré Blanquart-Évrard. Ce cliché exécuté en 1846 va servir à la communication faite à l’Académie des sciences de Paris, en janvier 1847. Document BNF

Blanquart-Evrard a entretenu toute sa vie des rapports étroits avec la photo. Il a été l’un des premiers daguerréotypistes. Plus tard, il fut l’un des pionniers de la photo en couleurs. Mais, ce qui lui vaut une place de choix dans l’histoire de la photographie mondiale, c’est son procédé « positif-négatif », initié en 1846. Il va réaliser des clichés extraordinaires annonçant tout ce qui va suivre en matière de photographie, jusqu’aux années 2000… mais également le cinéma.

Le cliché ci-dessus, un autoportrait du photographe-chimiste-tailleur, fait partie de cette série initiale destinée à l’Académie des Sciences de Paris. Il exprime une forme de d’auto-dérision avec le choix de ce décor, inspiré de l’antiquité avec ses colonnades de temples antiques, dépareillées. D’aucuns ont cherché le bâtiment qui a servi à camper la photographie. Mais, c’est peine perdue. Un cliché peu connu nous renseigne sur la supercherie. Il s’agit d’un agencement d’éléments destinés aux peintres. Ils permettent, selon la fantaisie de l’artiste de construire un décor évoquant la période antique. Louis-Désiré n’était pas un ancien étudiant des Beaux-Arts pour rien. Il était très renseigné sur la manière de se procurer ce matériel spécialisé…Suivant le même principe, dans un décor voisin utilisant les mêmes éléments décoratifs, il va réaliser d’autres clichés de gens connus ou de membres de son entourage et de sa famille.

Cette cabane de jardin avec la colonnade rangée sous le balcon nous renseigne sur un des lieux où ont été prises les photos de 1846, dont celle de l’autoportrait de Blanquart du haut-de-page.

Cette série réalisée au cours de l’année 1846 va permettre à Blanquart de faire valider son procédé par l’Académie des Sciences. Ce sera chose faite le 21 janvier 1847. La qualité des clichés est pour l’époque, époustouflante. Elle mêle des prises de vues en extérieur de même que d’autres en intérieur. C’est, au delà de l’exploit, un message taquin adressé à l’anglais Fox-Henry Talbot, inventeur du procédé concurrent, le « Calotype ». Ce dernier nécessite des temps d’exposition élevés. Il est inadapté aux prises de vue en faible lumière. Ainsi la différence des performance des deux procédés est-elle criante. Blanquart réalise   des portraits de gens connus comme les membres les plus éminents de la Société des Sciences tels que Claude Bernard ou François, Napoléon, Marie, Moigno, son antithèse. 

Un portrait de Claude Bernard, membre de l’Académie des Sciences, par Blanquart. Il fait partie de la série de 1846. Il est vraisemblable que ce cliché ait été pris à Paris dans les locaux de l’Académie.

Mais ses autres modèles sont choisis parmi sa famille et ses amis dont certains d’entre eux sont, au demeurant des célébrités dont l’aura dépasse nettement la ville de Lille.

L’universitaire-industriel Frédéric Kuhlmann. Blanquart avait été son assistant à l’Institut Industriel de Lille (l’ancêtre de la fac des Sciences) où Kuhlmann était professeur de chimie. Les deux hommes étaient restés amis.
Virginie, l’épouse de Louis-Désiré, photographiée au même endroit que Frédéric Kuhlmann, sur le pas de porte de la même maison inconnue.

Si l’on compare les deux photos (ainsi que d’autres de la série) les similitudes (même endroit, même cadre, même lumière) suggèrent une prise de vues en série, avec le lourd pied de bois surmonté de sa chambre photographique, soigneusement bloqué. Il suffit de changer de personnage et de châssis pour réaliser le cliché suivant.

Rembrandt - Le sacrifice de Manoah
Blanquart-Evrard, né en 1802, photographié en intérieur dans une attitude napoléonienne.
Une photo d’intérieur, opération très osée pour l’époque. Il s’agit probablement de la fille de l’associé de Blanquart.

Pour réaliser les prises de vues en intérieur, on applique ce même principe de la série. Naturellement, il est totalement impossible d’identifier le lieu de la prise de vue. Elle peut avoir été effectuée dans n’importe quelle maison ayant appartenue à Blanquart-Evrard. On notera aussi que les célébrités amies sont toujours photographiées en extérieur. La prise de vue en intérieur était plus exigeante et rendait sans doute l’appartement où la maison inadaptée au partage d’un bon repas.

Grâce à la liste des biens appartenant à un titre quelconque au moment de la succession nous avons pu faire le tour des domiciles potentiels du photographe. Aucune de ces maisons lilloises ne correspond aux prises de vues extérieures de la fameuse série de 1846. Nous n’avons pour l’instant trouvé aucun bien ayant appartenu à Blanquart-Evrard et pouvant correspondre aux images produites au début des années 1840. On peut songer à Quesnoy-sur-Deûle ville d’origine de la famille Blanquart. Mais avec des calèches tirées par des chevaux, c’est un lieu bien éloigné pour inviter des amis le dimanche. Loos-lez-Liille est une hypothèse séduisante. C’est le lieu où s’est implanté Frédéric Kuhlmann et où se trouve, près de la Deule, la résidence de son ami Hyppolite Fockedey. Mais l’épisode loosois se situe plus tardivement. On peut aussi penser à une maison de campagne dans un endroit proche de lille comme la Madeleine ou Marcq en Baroeul qui aurait été revendu pour financer l’achat du château de la rue de Thionville.

En clair, il n’a pas été possible déterminer le lieu de ces prises de vues historiques et il est peu probable que l’on puisse aboutir, un jour.

Les maisons inscrites dans la succession de Blanquart-Evrard :

Le n°7 rue Basse

Les n° 7 et 9, rue Basse, à Lille

Si on se réfère aux publications antérieures évoquant la maison de la rue Basse, on peut avoir un doute sur le numéro de la maison qui a effectivement été celle de Blanquart : le 7 ? ou le 9 ? L’acte de succession lève cette ambiguïté. La maison en question est sans aucun doute le n° 7 de la rue. C’est l’une des premières maisons de Louis-Désiré. Après la mort de son père, en 1830, le bureau de tabac de la rue de Paris est vendu. Sa mère, Eugénie, Sylvie, Joseph fait l’acquisition de cette maison du Vieux Lille. Sur l’acte de mariage de 1831, il est précisé que « Louis-Désiré-Joseph Blanquart, directeur d’assurances, vit avec sa mère » dans cette maison de la rue Basse. Le couple va rapidement s’installer dans la rue Grande-Chaussée voisine dans l’appartement qui surplombe le commerce. En 1841, Eugénie décède. L’acte de succession montre que la maison du n°7 est restée dans le giron de Louis-Désiré. Il est possible qu’il ait déménagé, à cette date dans ce lieu plus vaste que le logement de la rue Grand Chaussée et que les vues d’intérieur de 1846 aient été réalisées précisément dans cette maison. Mais rien ne le prouve. En tous cas, les photos extérieures n’ont pas été faites à cet endroit. Grâce à l’obligeance et à la courtoisie de l’actuel propriétaire des lieux, il a été possible de jeter un œil sur la façade arrière. Lorsqu’il a emménagé, il y a plus de 38 ans, « la maison était en ruine et ne possédait plus d’escalier »

La façade arrière du n°7 de la rue Basse, à Lille.

Les 9 et 11 de la rue Grande Chaussée

Le magasin Lacoste a remplacé l’enseigne, Au Mouton des Ardennes, le commerce de draps et de confection de Blanquart-Evrard. Dans les années 1820, ce magasin est la propriété de la famille Évrard. D’ailleurs, c’est toujours sous ce nom qu’il sera répertorié dans le Ravet-Anceau, même lorsque Blanquart-Évrard en sera devenu le gérant. Au début des années 1830, Louis Désiré Blanquart y emménage avec Virginie, sa jeune épouse et la fille de la maison. Désormais il choisit de se nommer Blanquart-Évrard, en hommage à la belle-famille. Il va y rester jusqu’en en 1857 où il emménage rue de Thionville. Il est tout à fait envisageable que la série de clichés de 1846 ait été réalisée à cet endroit même si d’autres lieux sont envisageables comme la rue Basse voisine ou une maison de la périphérie urbaine..

Le 5 rue Grande Chaussée

Ce commerce est très proche du commerce de draps de Blanquart. Il n’y a jamais résidé. C’est probablement un investissement de proximité de cet homme d’affaires avisé. Dès que le bien a été en vente, il était aux premières loges pour en être informé. 

Le 18 rue Grande Chaussée

Ce commerce est situé presque en face de celui présenté précédemment. Il n’a pas été couplé à une maison mitoyenne comme c’est souvent le cas dans cette rue commerçante. Il n’est pas répertorié comme un immeuble fragile, à l’inverse de l’immeuble voisin ayant abrité très longtemps l’enseigne « La Botte Chantilly » une réunion de plusieurs maisons et dont les murs mitoyens ont été abattus et qui est pour l’instant interdit au public.

Le 93 rue de la Monnaie

Les n° 91, 93 et 95 ont été réunis et les murs mitoyens démolis pour ne plus former qu’un seul  commerce répertorié au numéro 95 de la rue.

Encore une acquisition de Louis-Désiré Blanquart-Evrard. C’est un investissement spéculatif. Il n’a jamais habité cette maison.

Le 1, rue du palais de Justice

Cela aurait été une drôle d’idée pour Louis-Désiré et Virginie d’habiter cette maison. C’est dans cette rue que l’on dressait l’échafaud et qu’avaient lieu les exécutions capitales. Ceci dit, il ne reste rien de la maison dans son état du milieu du XIXe   siècle, de telle sorte que l’on ne peut rien affirmer avec certitude.

Les 26-28 rue de Thionville

Le 3 avril 1857, Blanquart-Évrard fait l’acquisition de ce magnifique hôtel particulier pour 92 500 Fr, l’équivalent de 50 millions d’euros d’aujourd’hui. Nous sommes bien loin de la période 1846-1847 qui nous intéresse. Blanquart y vivra jusqu’à sa mort en 1872.

En résumé, l’acte de succession ne permet pas de déterminer les lieux de prise de vues de la campagne 1846-1847… surtout les clichés en extérieur, pour lesquels aucune de ces maisons lilloises ne correspond. Naturellement, il a pu exister d’autres biens, revendus avant 1872. Sait-on jamais, la consultation des archives pourrait apporter des éléments nouveaux.

Pour compléter :

Les maisons de Louis-Désiré Blanquart-Évrard

Alain Cadet, journaliste
Alain Cadet, journaliste

Il a débuté dans la vie professionnelle comme enseignant. Après avoir coché la case du métier de photographe, il s’est orienté vers la réalisation de films documentaires, activité qui a rempli l’essentiel de sa carrière. Arrivé à la retraite, il a fait quelques films… mais pas beaucoup ! Les producteurs craignent toujours que, passé 60 ans, le réalisateur ait la mauvaise idée de leur faire un infarctus, ce qui leur ferait perdre beaucoup d’argent ! La suite a montré qu’ils se sont peut-être montrés un peu trop frileux, mais cela fait partie du passé. C’est ainsi que l’ancien réalisateur – un peu photographe, sur les bords – s’est mis à collaborer avec différents journaux. Il a aussi écrit des livres sur la guerre de 1914 – 1918 où l’image a une place importante. C’est ainsi que dans ce blog, on trouvera beaucoup d’articles sur des peintres ou des photographes anciens ou contemporains, des textes relatifs aux deux guerres, mais aussi des articles opportunistes sur différents événements. Comme les moyens du bord sont très limités, cela a obligé l’auteur à se remettre à la photographie – sa passion de jeunesse – pour illustrer ses textes. Il ne s’en plaint pas !

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