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À l’est de Lille, Naissance d’une Ville nouvelle
« Comme il n’était pas possible d’augmenter le prix des terrains, il fallut, donc augmenter les surfaces de plancher à vendre. En cours de réalisation, la hauteur des immeubles a été officiellement augmentée de trente-trois pour cent. La place du marché et bien d’autres espaces libres se comblèrent d’immeubles. La proportion des logements individuels est passée de soixante-quinze pour cent à vingt-cinq pour cent »
Henri Chomette, Architecte
Au début des années 1950, la commune de Mons-en-Barœul est un bourg rural de 9000 habitants. En 1975 sa population a triplé. Elle compte désormais 28 000 habitants. Cette évolution démographique s’est accompagnée de la transformation du paysage qui de campagne, s’est muté en ville…
Après la seconde Guerre mondiale, la France doit faire face à une profonde crise du logement.
Les destructions, dues au conflit, ont été considérables. Depuis de nombreuses années, aucune politique de logement n’a été mise en place. Le parc existant est insuffisant… le plus souvent vétuste. En 1950 on estime à 8,5 millions le nombre de mal-logés, soit 20 % de la population française. La métropole lilloise est à l’image du reste du pays. La commune de Mons-en-Barœul dispose d’une zone d’une centaine d’hectares, à trois kilomètres de Lille. La capitale des Flandres étouffe dans ses remparts. Les terres à vocation agricole sont soumises à la pression immobilière. La « Plaine de Mons » est un lieu très convoité. Les terrains se vendent au hasard des besoins d’argent des fermiers.
D’innombrables demandes de permis de construire s’accumulent en mairie.
Le résultat n’est pas toujours très heureux. Le conseil municipal de l’époque voit avec grande inquiétude sa commune se muter en banlieue, dans la plus totale anarchie. Le maire de l’époque Alphonse Gayet, malade, confie le dossier de la construction à son premier adjoint Félix Peltier, qui, bientôt lui succédera. La Ville nomme son propre architecte-urbaniste, M. Collet de Cantelou, qui, dès décembre 1951, lui présente son plan d’aménagement. Mais c’est compter sans Théodore Leveau, le chef du puissant Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Il exige un professionnel agréé par ses services et désigne Henri Chomette, architecte à Paris. « Quand le maire de Mons-en-Barœul, demande l’aide du Ministère, sa commune est encore rurale. Il fallait faire face à la demande et construire, à l’instar d’Alphonse Allais, la Ville à la Campagne », racontait plus tard l’impétrant désigné par l’État. Il se met au travail… mais tarde rendre sa copie… au risque de compromettre le projet. Finalement, Henri Chomette dépose son « Plan de masse » le 14 janvier 1953, veille de la date de clôture du budget municipal ! Le 1er septembre de cette même année, vont débuter les travaux.
Cette première tranche de construction, qui préfigure cette Ville Nouvelle qui, peu à peu, va conquérir l’espace agricole, correspond à un « foncier » déjà acquis par la mairie… ou qui pourrait l’être sans grande difficulté. Il s’agit d’une zone délimitée par la rue Jacques Rousseau, à l’Est, allant jusqu’aux limites de Lille, vers l’Ouest, et bordée, au Nord, par les avenues Zola et Acacias. Enfin, au Sud, le quadrilatère est fermé par le boulevard du Général Leclerc.
La première tranche prévoit la construction de 624 logements
– dont 500 maisons individuelles – destinés à 3000 habitants. Si ce programme comporte quelques bâtiments collectifs, il est orienté en priorité vers la construction de maisons particulières. « Avec le bon sens du Conseil municipal, nous avions décidé une proportion de 75% de logements individuels », racontera plus tard l’architecte à propos de la création du nouveau quartier. Il s’agit pour l’essentiel de maisons basses, déclinées sur un même modèle, faisant appel à des techniques de construction artisanales.
Ce chantier « à l’ancienne » n’était guère différent de ceux d’avant-guerre, privilégiant la pérennité sur la rentabilité immédiate. « On a commencé, en 1954, par le quartier des Sarts », poursuit Henri Chomette, « vous y trouverez l’abaissement des hauteurs vers l’individu, les unités de voisinage secondaires, la pluralité sociale. Mons-en-Barœul a engagé son développement avec les simples moyens d’une petite commune et d’un architecte, avec sous ses ordres des petites et moyennes entreprises ». La première tranche de ce programme sera inaugurée le 30 juin 1954.
Les travaux se poursuivront jusqu’au début des années 1960
où les derniers immeubles vont rejoindre premières constructions prévues par un nouveau projet, celui de la ZUP (zone à urbaniser en priorité). Ce programme, encore une fois, est largement entrepris à l’initiative de la municipalité. Mais, dans cette décennie 1960, il rejoint par ses orientations la politique du Ministère de la reconstruction qui, pour appuyer le succès de l’initiative, met largement la main à la poche. Raymond Verrue, le maire qui, au début des années 1970, avait remplacé Félix Peltier, justifiait ainsi ce second programme en voie d’achèvement : « il fallait empêcher l’urbanisation désordonnée. Seuls la maîtrise des sols et un plan d’aménagement permettent d’éviter une exploitation irrationnelle des terrains et de s’opposer aux spéculations foncières ». Cette ZUP est le travail du même architecte, Henri Chomette. Il rend son plan de masse le 9 juillet 1963. Voilà comment il parle de ce type de projet : « Une ZUP est une urbanisation structurée à échelle humaine, avec des noyaux denses… autour desquels le tissu urbain peut s’organiser, offrant les emplois nécessaires pour ne pas en faire des villes-dortoirs ».
La « Plaine de Mons » est divisée en quatre parties
au moyen de deux axes perpendiculaires structurants : les avenues Robert Schuman et Marc Sangnier. Ainsi leur intersection indiquera la place du « Nouveau centre » ou sera situé l’Hôtel de ville et, plus récemment, prolongeant les idées de l’architecte, la Place de l’Europe, une agora qui jouxte la nouvelle salle de spectacle Salvador Allende. Tandis qu’à la périphérie, on envisage des immeubles relativement bas comme Barry ou Rhin -Danube (de cinq à huit étages), l’hypercentre, qui regroupe les commerces et les administrations, mais aussi des logements, est beaucoup plus vertical. L’immeuble de référence de ce nouveau quartier et la Résidence de l’Europe, un ensemble qui comporte quatre immenses tours de 71 m de haut et un centre commercial.
D’autres immeubles de très grande hauteur seront construits à proximité du centre
comme les « Tours-jumelles » dessinées comme la Résidence de l’Europe par Henri Chomette… puis d’autres tours plus éloignées, comme Vauban ou Lamartine et enfin, le dernier-né, au début des années 1970, le « Village Vertical America » appelé aujourd’hui tout simplement « Tours America ». Dans cette décennie 1960, la demande en logement ne faiblit guère. On a tendance à rajouter des étages non prévus sur beaucoup d’immeubles, voire d’en créer des supplémentaires. Au beau milieu du programme, on augmente la hauteur des immeubles de 33 %. Cette nouvelle ville se dote également de nombreux bâtiments publics : écoles, salles des sports, centres sociaux, piscines etc. qui viennent compléter ce tissu urbain en construction. Le programme prévoyait 5600 logements destinés à accueillir 20 000 nouveaux habitants. Cet objectif sera quasiment atteint en 1976. La ville va compter la plus grande densité de son histoire (± 10 000 habitants au kilomètre carré), soit environ 28 000 habitants. Cet ancien bout de campagne est désormais devenu une ville extraordinairement dense. Le projet d’origine qui prévoyait 75 % de logements individuels et 25 % de logements collectifs est devenu une réalité urbaine comportant 20 % de logements individuels et 80 % de logements collectifs.
À la fin des années 1960
considérant qu’il est légitime que les locataires ou les propriétaires consacrent à leur logement une partie plus importante de leur budget, l’État se désengage progressivement du financement de ces programmes ambitieux de reconstruction. Les derniers grands immeubles de la ZUP de Mons, comme celui des « Tours America », auront le plus grand mal de parvenir à terme. Au début de l’année 1973, une circulaire du ministère de l’Équipement, du Logement et les transports vise à prévenir « la réalisation des formes d’urbanisation dites « grands ensembles » et à lutter contre la ségrégation sociale par l’habitat ». Elle interdit la construction d’ensemble de logements de plus de 500 unités. On revient à l’habitat pavillonnaire individuel d’avant la ZUP. Même si les programmes des années 1960 ont permis un très grand nombre de personnes d’améliorer leur condition en trouvant un toit décent, la ZUP n’a plus la cote !
Les habitants du village historique n’ont jamais très bien vécu l’évolution urbaine
de leur environnement mais, la contestation gagne aussi les habitants de la ville nouvelle. « Il était une fois, dans notre ville, un ogre qui s’appelait béton et qui mangeait les arbres et les plantes », écrivent un groupe de jeunes de la MJC. Le comité « Halte à au béton » (1975 – 1976) qui réunit essentiellement des habitants de la Ville Nouvelle, devient incontournable. Finalement, sous la pression, les derniers immeubles prévus ne seront jamais construits. L’arrivée d’une nouvelle municipalité, conduite par Marc Wolf (1977), hostile à de nouvelles constructions, marque le point d’arrêt définitif au développement de la ZUP.
Pour compléter cette lecture, consultez grâce à ce lien, l’article du cabinet d’architecture BLAU
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