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Le centenaire du Pélican, Lille (1921), Mons-en-Barœul (2021)
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Barœul et de la Deûle depuis la création de la marque Pélican, en 1921. Elle coïncidait avec la construction d’une nouvelle brasserie destinée à développer une production nouvelle. La saga du Pélican, tout juste centenaire, se poursuit aujourd’hui dans la brasserie historique de Mons-en-Barœul – désormais sous pavillon Heineken – avec le retour en force du fameux logo de l’oiseau légendaire sur les emballages.
L’histoire du Pélican débute à Lille, en 1921, juste après la première Guerre mondiale.
Cette année-là, près du port fluvial, est construite une nouvelle brasserie qui va prendre le nom de cet oiseau pêcheur à grand gosier. On aurait pu commencer l’histoire bien avant ! En 1863, dans le quartier Vauban, à Lille, Louis Boucquey de Caesteker fonde la brasserie éponyme. Elle va connaître un certain succès. Comme ses semblables elle sera victime de l’ordonnance de juillet 1916 promulguée par l’État allemand. Elle fixe le cadre de la confiscation pour les entreprises françaises des métaux non-ferreux.
Elle institue « la saisie des articles composés de cuivre, nickel, bronze, maillechort… », ce qui se traduit dans les brasseries des zones occupées par le déshabillage des outils de production, tels que les cuves de fermentation et les tuyauteries de cuivre. En octobre 1918, juste avant leur départ, les troupes allemandes sabotent tout ce qui reste encore debout dans les entreprises lilloises. Plus une seule des 2000 brasseries de la région du Nord, en activité avant la guerre de 1914, n’est plus, en cette fin de guerre, en état de fonctionner.
Après l’Armistice, vient le moment de la Reconstruction. Les dommages de guerre sont parcimonieux et sans rapport avec les destructions mises en œuvre pendant quatre ans. L’Allemagne organise sa propre banqueroute et les investisseurs doivent faire preuve d’imagination et de modestie pour relancer la machine économique. À cette époque, Louis Boucquey (tout court) a pris la suite de son grand-père, Louis Boucquey de Caesteker, à la tête de l’entreprise familiale. Pour relancer l’activité, il a l’idée de s’associer avec Raoul Bonduel, un producteur d’orge qui possède un grand nombre de débits de boissons sur l’agglomération lilloise et Armand Deflandre, Maître-brasseur à Braine le Comte, en Belgique, renommé pour son inventivité et la qualité de ses créations brassicoles. Les trois investisseurs se complètent parfaitement. Ils ont juste assez de fonds pour construire, au bord de la Deûle, boulevard de Lorraine, une brasserie, toute petite, mais, très moderne.
Reste à trouver une appellation qui ne fâche personne. Le consensus va se faire rapidement sur le nom de « Pélican », un fox-trot de l’orchestre du Savoy Dancing Club, paroles de Pierre d’Amor, aux éditions Clapson, qui est le grand succès mondain d’avant et d’après-guerre : « Un pélican conduisait gravement, en avant des enfants, clopin-clopant, trébuchait trop souvent ». On n’aurait pas donné cher de la pérennité de cette marque qui s’appuyait sur la mode et le grand tube musical du moment. Pourtant, un siècle plus tard, si on a oublié le fox-trot, le Pélican est toujours bien vivant.
La brasserie Pélican
bien que beaucoup plus petite que ses concurrentes du Coq hardi et Excelsior à Lille, Motte-Cordonnier à Armentières et même… la Brasserie Coopérative de Mons-en-Barœul, connaît un réel succès. Le brassage selon le procédé de « fermentation basse », à la pointe des nouvelles techniques de production, permet de raccourcir le temps de maturation des brassins et de baisser les prix de revient. Surtout, les nouvelles recettes mises au point par Armand Deflandre rencontrent un beau succès auprès du public français. En matière de bière, Armand Deflandre est très créatif. Il va imaginer sept versions différentes des bières du Pélican qui vont s’enrichir au fil des ans jusqu’à atteindre le chiffre de quatorze. La production de la brasserie lilloise passe de 10 000 hectolitres en 1921, à 100 000 hectolitres en 1933.
En 1935, un nouvel acteur va venir écrire une nouvelle page de l’histoire de la brasserie du bord de l’eau. Il s’appelle Jean Deflandre et c’est le fils d’Armand. C’est un jeune et brillant diplômé (Maître brasseur) de l’École supérieure de brasserie de la Faculté des sciences de Nancy, la meilleure école brassicole de l’époque. Autant dire, dans le langage d’aujourd’hui, « qu’il coche toutes les bonnes cases. » En 1937, il va naturellement prendre la succession d’Armand.
Comme son père, c’est un créateur.
Il va inventer de nouvelles recettes et process de fabrication. La même année, il met au point une bière à fermentation haute inspirée de celles qu’il avait découvertes lors d’un stage dans une brasserie anglaise. Pour en fabriquer un hectolitre il faut 43 kg d’orge : un record ! Il va la nommer « Pelforth 43 ». Après-guerre, elle deviendra la Pelforth, tout court, parce qu’elle sera exportée en Allemagne et que la date de 43, qui est celle de la bataille de Stalingrad, aurait pu décourager nombre de consommateurs d’outre-Rhin. C’est la bière la plus étonnante et la plus puissante de l’époque. Malgré sa nouveauté elle va connaître d’emblée un grand succès auprès des clients français.
En 1940, l’Allemagne est de retour. Les brasseurs sont drastiquement contingentés en matières premières. La production est en chute libre dans les usines du Nord. Mais Jean Deflandre, jeune patron audacieux, ne se laisse pas impressionner. Il achète et stocke tout l’orge et le houblon disponibles. Quand il n’y en aura plus, il fera de la bière avec de la betterave et de la pomme de terre. Il ira même jusqu’à louer un champ pour y développer ses propres récoltes. Tandis que les marques concurrentes voient leur production s’effondrer, la petite entreprise du Pélican tourne 24 heures sur 24, et brasse 350 jours par an sur 365. En 1945, elle produit 200 000 hectolitres par an. Elle est devenue la plus grosse brasserie du Nord !
Comme il était impossible de repousser les murs,
Jean Deflandre sous-traite une partie de sa production dans des sites sous-employés comme la Brasserie Coopérative de Mons-en-Barœul. C’est ainsi qu’en 1954, le Pélican prend son envol vers le Barœul pour venir s’installer dans le site de cette Brasserie Coopérative. Jean Deflandre en prend progressivement le contrôle. À la fin des années 1970, il possède 95 % du capital de l’entreprise. Ce site de 25 hectares, au cœur d’une zone industrielle, recelant dans son sous-sol des réserves d’eau, idéale pour la fabrication de la bière, permet au Pélican de franchir un nouveau palier. À la fin des années 1970, on produit à Mons un million d’hectolitres par an !
Ce développement a été permis par l’agrandissement et la modernisation des chaînes de production et par l’adaptation des produits de la marque au nouveau goût de la clientèle. En 1963, Jean Deflandre revoit la vieille gamme des bières du Pélican d’Armand. Il crée la «Pelforth Pale » qui deviendra bientôt la « Pelforth blonde », plus au goût du jour de l’époque. En 1972, la « brasserie du Pélican » opte pour le nom de « brasserie Pelforth ». Mais le Pélican n’est pas mort pour autant. C’est un symbole fort, ancré dans la mémoire collective des clients de la région du Nord et d’ailleurs. Il va continuer à orner les bouteilles de la nouvelle marque et contribuer à développer son identité.
Aujourd’hui, la brasserie de Mons-en-Barœul
est, en France, le plus gros site de production du géant néerlandais de la bière, Heineken. Malgré un contexte très défavorable, lié au développement de la pandémie et qui se traduit par de nombreuses suppressions de postes, le site de Mons est épargné. Il produit annuellement 3,5 millions d’hectolitres de bière dans plus de 130 références. La Pelforth existe toujours. La recette de 1937 de Jean Deflandre n’a pas été modifiée et a traversé plusieurs générations de clients fidèles. Les autres produits éponymes, sont toujours au catalogue. Cette année, comme c’est le centenaire du Pélican, dès le mois d’avril, ce ne sont pas moins de 12 étiquettes nouvelles et différentes que l’on a pu retrouver sur les bouteilles Pelforth, Brune ou Blonde. Cent ans, cela s’arrose !
Pour aller plus loin :
Tout ce que l’on sait sur le Pélican et les marques du Groupe, passées et actuelles, se trouve sur le site d’Eugénies :
https://brasseriesdemons.blogspot.com/
Un sujet voisin existe sur ce Blog : « Jean Deflandre, du Pélican à Pelforth » :