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Portraits croisés, le port de la Basse-Deûle et le Palais de justice, 1840-2020
Il s’agit de l’une des premières photos jamais prises à Lille… peut-être même de la première ! C’est un daguerréotype (procédé autopositif sur plaque métallique recouverte d’une fine couche d’argent, rendu public en 1839). Différentes sources avancent pour ce cliché des dates qui s’échelonnent de 1840 à 1848. Nous proposerions volontiers le créneau 1842-1844, mais, rien n’est à exclure formellement. Cette image appartient à la collection de la Bibliothèque Municipale de Lille. L’original mesure 8,5 centimètres de large sur 11 centimètres de haut. La photo n’est pas signée mais il est hautement probable qu’elle ait été prise par Blanquart-Evrard. Il habitait ce quartier du Vieux-Lille. Le système d’encadrement rappelle celui qu’il a utilisé pour sa photo de la Vieille-Bourse (voir l’article la concernant sur ce même blog). Elle a été prise à un endroit très proche de celle de la collection du Musée Industriel (on peut aussi consulter un article concernant cette photo sur ce même portail).
Le sujet affiché est « Le Port fluvial et le Palais de justice ». Il existe des zones sombres sur les bords de l’image, dont on ne sait s’il faut les attribuer à la qualité de l’optique (vignettage) ou à un défaut de traitement lors du développement. Ces indices suggèrent un document antérieur à l’autre image voisine du port de la Basse-Deûle, publiée sur ce même site. Le photographe a utilisé la plongée. Il prend le canal en enfilade, en mode ¾ . Ainsi, il peut disposer harmonieusement les différents plans de son’image. La photo est composée comme un tableau. Blanquart-Evrard avait fait des études aux Beaux-Arts de Lille dans les sections peinture et miniature : une raison supplémentaire de le soupçonner d’être l’auteur du cliché. Au premier plan, on trouve l’antique Pont Notre-Dame dont les arches basses peuvent néanmoins être franchies sans encombres par les grosses péniches. Puis vient le Palais de Justice. C’est une photo d’actualité. Ce bâtiment de l’architecte Victor Leplus, avec ses faux-airs de temple grec, construit sur l’emplacement de la Collégiale Saint Pierre, a été inauguré en 1839, c’est-à-dire un ou deux ans avant cette représentation photographique. Puis viennent les façades des maisons qui bordent le canal, avec en arrière-plan les cheminées d’usine. Les détails sont finement ciselés par l’objectif : les arches du pont, les réverbères, les barrières de sécurité, les charrettes de transport : un beau voyage dans le Lille fluvial de la moitié du XIXe siècle…
Aujourd’hui, plus de Pont Notre-Dame pour assurer les avant-plans. Pour rappeler le travail de Blanquart, le photographe a choisi cette statue de Jeanne Maillote, déposée là à point nommé. Jeanne est censée avoir repoussé une attaque des Hurlus qui assaillaient la ville en 1582. Lors des défilés et des fêtes de Lille, elle a sa « Géante ». Le Palais a bien changé. L’ancien a été démoli en 1963 et ce nouveau, construit en lieu et place, a été livré en 1968. C’est l’œuvre de l’architecte Jean Willerval. Il est diversement apprécié. Certains considèrent que c’est un bâtiment remarquable, témoin de l’architecture des années 1960, tandis que d’autres n’y voient qu’une verrue qu’il faut extraire au plus vite de ce quartier touristique qu’est le Vieux-Lille. Ce nouveau Palais de Justice est déjà condamné. Il va être remplacé par un autre, tout neuf, construit à proximité. Il n’est pas du goût des avocats et des magistrats, qui, à tout prendre, préféreraient encore leur ancien local : « trop petit, mal conçu, c’est une catastrophe annoncée », se plaignent-ils à la Presse. Le port, ses ponts et ses péniches ont disparu. Exit le canal ! Le ruban d’eau a été remplacé par une pelouse sous laquelle se trouve un parking urbain. Il est au centre d’une polémique depuis que les maisons d’alentour donnent des signes de faiblesse. Il pourrait empêcher la circulation souterraine de l’eau et entraîner l’assèchement des charpentes qui deviennent fragiles… Certains en tirent argument pour demander que le quartier soit remis « en eau », comme en 1840 !
Un Mystère et un rectificatif
Un Internaute, fin connaisseur du Vieux-Lille, signale que l’image du Palais de Justice est inversée. C’est étonnant pour un daguerréotype (une image auto-positive unique). Mais force est de constater que c’est exact. Voilà un bien curieux mystère ! L’hypothèse la plus vraisemblable est que la reproduction du document a été effectuée en « argentique » et qu’au moment de tirer le positif, l’opérateur a placé le négatif côté mat au-dessus, d’où cette inversion. On trouvera ci-contre le cliché corrigé. Du coup l’analyse comparative est fautive mais l’erreur est rectifiée.
Sujet voisin :
Portraits croisés, le port de la Basse-Deûle dans le « Vieux-Lille », 1840-2020