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Dans les années 1990, l’aile-nord de l’hôtel-de-ville de Lille, imaginée 70 ans plus tôt par Emile Dubuisson est enfin construite suivant les plans des architectes lillois Martine et Jean Pattou.
En 1932, juste après la construction du beffroi, on inaugure en grande pompe le nouvel hôtel-de-ville. C’est l’aboutissement de 12 ans de réflexion et de travaux (les premiers projets datent de 1920 tandis que la première pierre de l’hôtel-de-ville est posée en 1924). C’est un grand événement lillois… et même international. Il est ponctué par trois jours de fêtes et de défilés. Pourtant, pour l’architecte Emile Dubuisson et les édiles lillois, il ne s’agit que d’une demi-victoire. Le projet initial n’a pas pu être achevé faute d’argent. Les dommages de guerre, promis par le traité de Versailles, n’arrivent plus que de manière parcimonieuse. L’Allemagne organise sa propre banqueroute pour se soustraire à ses engagements financiers. La ville de Lille ne peut plus compter que sur elle-même pour financer ses travaux.
Ainsi, devra-t-elle se contenter du beffroi, de la nef et de l’aile-sud, tandis que l’aile-nord, est renvoyée sine die… dans l’espoir de jours meilleurs. La deuxième guerre mondiale ne va rien arranger. Elle provoque de nouvelles destructions et un appauvrissement de la région du Nord. Les programmes de reconstruction des bâtiments détruits et la lutte contre l’habitat insalubre, absorbent l’essentiel des crédits d’après – guerre. L’aile-nord de l’hôtel-de-ville peut attendre… Dubuisson avait vu les choses en grand et son demi-hôtel-de-ville va fonctionner plutôt correctement pendant plusieurs décennies. La création des mairies de quartier et la décentralisation d’un certain nombre de services techniques permettent de pallier ce manque d’espace dans l’hôtel-de-ville central. Pourtant, il faudrait une « salle du conseil » digne de ce nom et les services administratifs ainsi que les élus sont plutôt à l’étroit. Le Serpent de mer de l’achèvement de l’hôtel-de-ville, ressurgit périodiquement mais, l’argent indispensable pour mener à bien l’entreprise manque à chaque fois. Cependant, à la fin des années 1980, un nouveau projet de financement de la construction de l’aile manquante voit le jour.
En 1991, le maire de l’époque, Pierre Mauroy, propose sa mise en chantier grâce à un schéma de financement, très novateur pour l’époque, mais qui deviendra les décennies suivantes un grand classique, un Partenariat public – privé (PPP). Suivant un contrat passé avec la SCI, Desousseaux, daté du 13 décembre de cette année-là, c’est le secteur privé, appuyé par le Crédit Foncier, qui financera l’essentiel des travaux. L’ensemble des locaux (5121 m² pour la mairie de Lille, 11421 m² de bureaux privés) sera loué selon un bail emphytéotique de 60 ans. La Ville ne deviendra propriétaire des locaux qu’en l’an 2058, à l’issue du bail. Pour Pierre Mauroy et son conseil municipal, pas question de construire la nouvelle aile-nord en suivant à la lettre les plans des années 1920 d’Émile Dubuisson. Ce serait un bâtiment dispendieux qui ne correspondrait ni aux nouvelles normes en vigueur, ni à la nouvelle architecture du quartier Saint-Sauveur dont la restructuration est quasiment terminée. On vient d’y construire un grand pôle administratif dont le dernier né, le bâtiment de l’INSEE, doit sans doute beaucoup au passage par Matignon du maire de Lille. C’est aussi le cas des deux gares (l’ancienne et la nouvelle) qui accueillent toutes deux le TGV, mettent Lille à moins d’une heure de Paris, et font de la métropole lilloise un carrefour européen. Cette extension nouvelle de la mairie s’inscrit en plein dans le nouveau développement urbain de la capitale des Flandres.
Ce nouveau projet d’achèvement du bâtiment municipal est confié au cabinet Pattou, (Martine et Jean : tous deux architectes). Les contraintes sont nombreuses. Le budget est limité. Le bâtiment tout en étant relativement bon marché doit pouvoir s’harmoniser avec la partie construite, 70 ans plus tôt, sous la houlette de Dubuisson. En même temps cette nouvelle façade doit pouvoir dialoguer, avec les constructions des années 1970 et 1980 environnantes.
Enfin, le projet doit permettre la restructuration de cette zone nord de la mairie, laissée plus ou moins à l’abandon, avec la création d’un parvis avec jardin, antichambres du nouveau hall d’accueil du public.
Le 30 janvier 1989, l’architecte est reçu par le conseil municipal pour exposer les grandes lignes de son travail. Il les précisera dans un document de septembre 1992 comme suit : « Le programme prévu sera l’occasion d’offrir de nouvelles conditions d’accueil aux visiteurs à travers un vaste hall aménagé en lieu d’exposition ; de créer une salle de conseil de 380 places pour le conseil municipal ou autres manifestations ; de créer un programme de bureaux publics et privés » et concernant l’aspect architectural du bâtiment il poursuit : « L’architecture retenue pour cette extension sera celle d’un traitement monumental pour la partie mairie avec une mise en œuvre très contemporaine. »
Le projet de Martine et Jean Pattou est abondamment commenté par le journal La Voix du Nord dans un article intitulé « Soixante ans plus tard, la mairie attaque la face nord ! » : « Les contraintes imposées aux architectes sont considérables : une enveloppe budgétaire très serrée interdisait beaucoup d’audace. Il fallait créer un bâtiment moderne, fonctionnel, évocateur d’avenir tout en restant en harmonie avec l’ancien dont il devait partager les patios, les couloirs, les circulations. Un ensemble dont la caractéristique principale est la sobriété : briques rouges, acier noir et verre. »
Les travaux correspondants à ce projet « modeste » supposent tout de même une note de 21 millions de francs pour la mairie (sans compter les loyers à venir). Le chantier peut commencer. Mais, dès le 22 janvier 1993, il doit-être suspendu. En effet, les travaux sont remis en cause par l’Association de défenses des riverains de l’hôtel de ville et le Syndicat des propriétaires de la résidence du Beffroi qui attaquent la mairie devant le Tribunal Administratif. Le recours porte à la fois sur l’annulation du bail emphytéotique concédé au secteur privé et sur l’autorisation du permis de construire. Le Tribunal Administratif donne raison aux plaignants sur ces deux points, ce qui oblige le conseil municipal et son maire à suspendre le chantier et revoir le montage juridique. Le surcoût pour la ville de Lille est élevé – environ 2 millions de francs – et les travaux ne pourront reprendre que le 13 avril 1993. Mais, entre-temps, le 25 février, le Conseil d’État invalide la décision du Tribunal Administratif de Lille. Pour lui, « la Ville était dans son bon droit et a subi un préjudice important. » Pierre Mauroy menace de demander des comptes devant un juge aux associations de riverains pour « poursuites infondées entravant la gestion de la ville. » À notre connaissance il n’a pas mis sa menace à exécution mais cet épisode a dû susciter quelques inquiétudes du côté de la Résidence du Beffroi. Les travaux sont achevés le 30 juin 1994.
Quelques problèmes de malfaçons vont retarder encore de quelques années la mise à disposition du chantier. « Nouvelle aile de l’hôtel de ville : pas avant 1997 ! », titre le journal Nord – Éclair du 4 octobre 1994. Le maire, pourtant très engagé dans ce projet, se montre très philosophe : « Il aura fallu attendre près de 70 ans pour que les travaux reprennent, nous pouvons patienter quelques temps avant que ces bâtiments soient totalement aménagés et que la salle du conseil municipal soit utilisable », déclare-t-il. Le journal soupçonne une situation délicate des finances de la ville qui l’empêcherait momentanément de financer le mobilier et les petits équipements. La presse locale annonce la bonne nouvelle imminente en empruntant des images du vocabulaire ornithologique. « L’envol du beffroi est prévu en juin », titre Nord – Éclair tandis que pour ne pas être en reste, la Voix du Nord réplique quelques mois plus tard par : «Le beffroi vole maintenant de ses deux ailes ». Avec un beffroi de 105 m de haut évoquant le long cou d’un échassier, soyons heureux d’avoir échappé à l’image d’un immense héron veillant sur la ville endormie. En tout cas, le bâtiment ainsi augmenté représente une surface au sol de 36 907 m², dont 16 452 m² pour l’aile-nord fraîchement construite. Il devient la plus grande mairie de toutes les villes de France. C’est aussi un bâtiment remarquable de la ville, passage obligé pour les nombreux touristes qui, désormais, ont pris l’habitude poser leurs valises dans la capitale des Flandres.
Le début de l’histoire se trouve :